Monsieur l’Attorney General
République de Maurice
Port-Louis
Je vous écris en votre qualité constitutionnelle de principal conseiller juridique du Gouvernement et de garant de l’État de droit, au sujet de la non-divulgation persistante du rapport de la Cour d’enquête relative au drame du remorqueur Sir Gaëtan, qui a coûté la vie à quatre personnes.
La présente démarche soulève une question de droit public, strictement limitée aux principes de responsabilité de l’exécutif, de transparence et de légalité administrative. Elle ne vise nullement à imputer une responsabilité pénale à quelque personne ou institution que ce soit, celle-ci relevant exclusivement du système de justice pénale.
1. Éléments factuels non contestés
Les faits suivants ne sont pas contestés. La Cour d’enquête relative au drame du Sir Gaëtan a été instituée le 4 septembre 2020. La Cour d’enquête a débuté ses travaux le 12 juillet 2021, les a achevés le 21 novembre 2021, et son rapport a été formellement remis à l’ancien Gouvernement le 22 mars 2022. Ce rapport n’a jamais été divulgué ni publié par le précédent Gouvernement. Un nouveau Gouvernement est entré en fonction en novembre 2024, à l’issue des élections générales. Durant la campagne électorale, la divulgation de rapports relatifs à des incidents graves impliquant des pertes humaines, y compris le rapport concernant le Sir Gaëtan, figurait parmi les engagements majeurs de l’Alliance du Changement, engagement qui a continué d’être publiquement affirmé après sa prise de pouvoir incontestée. À ce jour, soit environ une année après l’entrée en fonction du nouveau Gouvernement, le rapport de la Cour d’enquête demeure non divulgué, et aucune décision motivée expliquant cette non-divulgation n’a été rendue publique. Ces éléments sont objectifs, vérifiables et susceptibles de confirmation publique.
2. Clarification des responsabilités institutionnelles
Bien que la Mauritius Ports Authority (MPA) ait été impliquée dans le contexte opérationnel de l’incident et puisse être l’autorité d’origine de certains documents, il est établi que le rapport de la Court of Investigation a été soumis à l’Exécutif, que la décision de divulguer, publier ou retenir ce rapport relève du Bureau du Premier ministre, et que le Bureau du Premier ministre est le ministère de tutelle exerçant une autorité de supervision sur la Mauritius Ports Authority. La question soulevée concerne donc une décision et ou une omission persistante de l’Exécutif, et non des questions opérationnelles relevant d’un organisme statutaire.
3. Nature précise de la problématique soulevée
La présente lettre ne remet pas en cause les conclusions ou recommandations de la Cour d’enquête, la conduite de l’enquête elle-même, ni aucune décision de nature poursuivante ou pénale. Elle concerne exclusivement la persistance, sous le Gouvernement actuel, de l’absence de divulgation du rapport, ou à tout le moins l’absence de toute décision motivée et communiquée quant à sa divulgation, alors que ce rapport est en possession de l’Exécutif depuis mars 2022. Il s’agit d’une omission administrative actuelle et continue, et non d’un grief historique.
4. Enjeux de droit public liés à la non-divulgation persistante
En droit public, le pouvoir discrétionnaire de l’Exécutif doit être exercé, et non simplement conservé. Lorsqu’une enquête officielle est achevée, que plusieurs décès sont survenus dans un contexte impliquant des autorités publiques, que le rapport est détenu par le Gouvernement depuis plusieurs années, et que la transparence a été explicitement présentée comme un engagement public majeur durant une campagne électorale puis après l’accession au pouvoir, il naît une attente légitime, notamment pour les proches des victimes et pour le public, selon laquelle la question sera traitée dans un délai raisonnable et qu’une décision motivée sera prise et communiquée, qu’il s’agisse d’une divulgation, d’une divulgation partielle avec expurgations légales, ou d’un refus fondé en droit. Une période prolongée sans divulgation ni décision motivée est susceptible de constituer un retard excessif et un défaut d’exercice légal du pouvoir discrétionnaire.
5. Importance de la transparence en cas de perte de vies humaines
Lorsque des pertes humaines surviennent dans l’exercice de fonctions publiques, la transparence et la reddition de comptes sont essentielles à la confiance du public dans les institutions, à la protection du droit, et au respect dû aux familles des victimes. La divulgation des conclusions d’enquêtes officielles, sous réserve des limitations légales nécessaires, constitue un principe reconnu de bonne gouvernance.
6. Préoccupations antérieurement exprimées quant à la composition de la Cour d’enquête
À plusieurs reprises après l’achèvement des travaux de la Cour d’enquête, des préoccupations ont été exprimées concernant la composition de ladite Cour, notamment au regard des exigences d’indépendance institutionnelle et d’impartialité. Il a notamment été relevé que l’un des assesseurs nommés au sein de la Cour d’enquête était, à l’époque, employé de la Mauritius Shipping Corporation, société dans laquelle la Mauritius Ports Authority détient une participation. Ces observations ont été formulées sans prétendre statuer sur la validité du rapport, de ses conclusions ou de ses recommandations, mais afin de souligner des questions de proximité institutionnelle perçue qui, dans des affaires impliquant des pertes de vies humaines et des autorités publiques, appellent en principe une attention particulière. La non-divulgation persistante du rapport empêche toute appréciation éclairée quant à la manière dont ces préoccupations ont été abordées ou prises en compte, ce qui renforce d’autant plus la nécessité de transparence.
7. Portée et limites de la présente démarche
Pour éviter toute ambiguïté, la présente lettre ne vise aucune responsabilité pénale, elle ne cherche pas à orienter l’action du Directeur des poursuites publiques, et elle ne tend pas à se substituer au processus pénal. L’unique objectif poursuivi est la divulgation du rapport, ou à défaut, la communication d’une décision légale et motivée relative à cette divulgation. Cette démarche intervient après de nombreuses démarches et interpellations adressées au Premier ministre, lesquelles n’ont, à ce jour, conduit ni à la divulgation du rapport ni à la communication d’une décision motivée expliquant sa non-divulgation.
8. Demande adressée au Procureur général
Au regard de ce qui précède, je vous serais reconnaissant de bien vouloir, en votre qualité de Attorney General, prendre acte de la non-divulgation persistante du rapport de la Cour d’enquête, examiner si l’absence de toute décision motivée communiquée est compatible avec les exigences de la légalité et de la bonne gouvernance, et conseiller les autorités compétentes en conséquence, dans l’intérêt de la transparence, de la responsabilité publique et du respect de l’État de droit.
9. Observation finale
Face à cette absence persistante de décision et de communication, une question légitime se pose dans l’esprit des citoyens et des familles concernées. Comment comprendre qu’un rapport relatif à la perte de quatre vies humaines, achevé et remis aux autorités depuis plusieurs années, demeure sans suite publique, alors même que la transparence avait été érigée en engagement politique majeur ? Lorsqu’aucune réponse n’est apportée à la mémoire des disparus, quelle confiance les citoyens peuvent-ils raisonnablement placer dans la capacité des institutions à protéger les vivants ? Ces interrogations ne relèvent ni du procès d’intention ni de la polémique. Elles traduisent une attente fondamentale de respect, de responsabilité et de considération à l’égard de la vie humaine, valeurs qui devraient transcender toute autre contingence politique.
Je rends cette lettre publique dans un souci de transparence et d’engagement civique responsable.
Je vous prie d’agréer, Monsieur l’Attorney Général, l’expression de ma considération distinguée.
Alain Malherbe
Citoyen Dégoûté



